Louis MONNIER, Montpellier
Battelino T et al. Continuous glucose monitoring and metrics for clinical trials: an international consensus statement. Lancet Diabetes Endocrinol 2023 ; 11 : 42-57.
Les grands essais interventionnels randomisés et contrôlés (RCT pour « Randomized Controlled Trials ») pratiqués dans le diabète sucré sont destinés à évaluer l’efficience (efficacité + sécurité) d’un nouveau médicament antidiabétique par rapport à un comparateur (placebo ou autre antidiabétique plus ancien et homologué). L’évaluation de l’efficacité (l’une des composantes de l’efficience) sur le contrôle des désordres glycémiques est restée pendant de nombreuses années limitée à l’analyse des effets obtenus sur l’HbA1c considérée comme le « gold standard » et à celle des profils glycémiques discontinus réalisés à partir de mesures glycémiques pratiquées plusieurs fois par jour en intégrant les périodes de jeûne, inter- et postprandiales. Ces profils pouvaient être établis quotidiennement par autocontrôle glycémique ou de manière beaucoup plus espacée (mensuellement par exemple) par dosage en laboratoire de prélèvements sanguins.
L’avènement et le développement sans cesse croissant de la nouvelle technologie de l’enregistrement glycémique continu en ambulatoire (CGM pour « Continuous Glucose Monitoring ») a profondément redistribué les cartes en permettant de proposer de nouveaux critères d’équilibre glycémique qui complètent les anciens avec une meilleure fiabilité(1,2). C’est pour cette raison que l’utilisation des CGM dans les essais cliniques (RCT) devrait devenir de plus en plus fréquente. Dans une revue générale, publiée récemment dans le Lancet Diabetes Endocrinology, un consortium international de diabétologues dirigé par Tajed Battelino vient de faire le point sur les conditions d’utilisation du CGM dans les RCT et sur la plus-value apportée par son usage dans l’interprétation des données fournies par ces RCT.
1. En premier lieu il convient de souligner que le CGM permet d’avoir accès à des informations que les profils glycémiques discontinus ne permettent pas d’obtenir :
• Sur les hypoglycémies
Dans les études où le CGM n’est pas pratiqué, les hypoglycémies sont comptabilisées sur un mode déclaratif si elles sont cliniquement symptomatiques. Lorsqu’elles sont asymptomatiques, ce qui est souvent le cas quand elles restent modérées ou quand elles surviennent pendant le sommeil, seule une mesure de la glycémie, réalisée ponctuellement et par hasard au moment où l’hypoglycémie se produit, permet d’authentifier et de comptabiliser cet épisode. Dans le cadre des RCT avec mesure discontinue de la glycémie, l’absence d’utilisation du CGM conduit à une sous-estimation des hypoglycémies, en particulier nocturnes. Le CGM en quantifiant les pourcentages de temps passés en dessous des seuils glycémiques (TBR pour « Time Below Range ») ≤ 70 (hypoglycémies de niveau 1) ou ≤ 54 mg/dL (hypoglycémies sévères de niveau 2) permet d’avoir une évaluation précise des hypoglycémies en nombre, en durée et en amplitude. Selon les règles internationales les TBR ≤ 70 et ≤ 54 devraient être respectivement < 4 % et 1 %(1).
• Sur les excursions glycémiques postprandiales
Leur intensité ne peut être correctement jugée que si l’on peut repérer le moment du pic postprandial. Quand on connaît la variabilité de cet instant chez les patients diabétiques (entre la 60e et la 120e minute après le début de la prise alimentaire) et quand on sait que le pic dépend du repas et de sa teneur en glucides, seul un CGM permet de repérer correctement les pics et de les quantifier. De manière un peu surprenante, le consensus se contente de mesurer les pourcentages de temps où les glycémies sont > 180 et 250 mg/dL, même si ces pourcentages sont en partie, et bien évidemment, le reflet des montées glycémiques postprandiales.
• Sur la variabilité glycémique
Seul le CGM permet de quantifier les fluctuations glycémiques intra- et interjournalières. Un coefficient de variation de la glycémie < 36 % est recommandé(1,3).
• Sur l’exposition chronique au glucose
Le CGM, grâce à la mesure de la moyenne glycémique sur 24 heures ou sur des périodes plus longues, permet une évaluation de l’exposition chronique au glucose. Il a été démontré récemment que les données fournies par le CGM (moyenne glycémique et pourcentages de temps passés au-dessus de 180 ou 250 mg/dL) sont plus représentatives de l’exposition chronique au glucose que l’HbA1c(2).
2. En deuxième lieu : les principales conditions d’utilisation du CGM
• Dans une étude donnée (RCT), le même système de CGM doit être utilisé du début à la fin de l’étude et avec la même méthodologie dans tous les centres s’il s’agit d’une étude multicentrique.
• L’utilisation en parallèle d’un CGM personnel est possible, mais ce sont les données du CGM remis en début d’étude et dédié au RCT qui seront utilisées lors de l’analyse des résultats de l’étude, car les investigateurs sont dans l’obligation d’utiliser des appareillages parfaitement homologués.
• Les participants à l’étude doivent être correctement informés dès le départ sur la pose d’un CGM et les investigateurs doivent s’assurer que le port de ce dispositif ne va pas compromettre le bien-être du sujet dans sa vie quotidienne, surtout quand on sait que, dans le cadre d’un RCT, le CGM doit être porté sur des durées minimum de 14 jours par trimestre.
3. En troisième lieu : l’interprétation des résultats
Pour qu’un résultat soit considéré comme ayant une signification clinique il faut que la différence entre le TIR (« Time in range » ou pourcentage de temps passé entre 71 et 180 mg/dL pour la glycémie) de départ (au début de l’essai) et d’arrivée (à la clôture de l’essai) soit ≥ 5 % au niveau individuel et ≥ 3 % si l’analyse a porté sur un groupe de patients. À titre d’exemple, pour un sujet qui voit son TIR passer de 65 à 67 % le résultat ne sera pas considéré comme significatif. En revanche, il le deviendra si le TIR passe de 65 à 70 %, ou plus.
Au terme de la lecture de ce nouveau consensus, on ne peut qu’être d’accord avec ses auteurs qui préconisent une large utilisation du CGM dans le cadre d’un essai clinique destiné à tester l’efficacité et la sureté d’un traitement pharmacologique sensé améliorer le contrôle glycémique des patients diabétiques. Cette observation ne fait que suivre l’utilisation de plus en plus large du CGM en pratique médicale courante, en particulier dans le diabète de type 1. On ne répétera jamais assez que le CGM est l’outil indispensable pour détecter les hypoglycémies (nocturnes en particulier), les dérives glycémiques excessives en périodes post-prandiales et pour quantifier la variabilité glycémique entre pics et nadirs.