Patrice DARMON, Marseille
Emerging Risk Factors Collaboration. Life expectancy associated with different ages at diagnosis of type 2 diabetes in high-income countries: 23 million person-years of observation. Lancet Diabetes Endocrinol 2023, published online September 11.
Malgré les progrès spectaculaires réalisés dans sa prise en charge, le diabète de type 2 (DT2) reste grevé d’un sur-risque de mortalité prématurée : sur la base de différents travaux publiés ces dernières années, on estime que les personnes vivant avec un DT2 ont une espérance de vie diminuée de 6 ans en moyenne. Cependant, ces études ne tiennent pas toujours compte de l’âge au moment du diagnostic et donc de la durée d’exposition au diabète — un critère pourtant essentiel à l’évaluation du pronostic — ou manquent de puissance statistique pour être totalement fiables. Menée à partir de l’analyse des données individuelles des participants inclus dans 97 cohortes prospectives provenant de 19 pays à haut revenu, principalement en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord, l’ambitieuse étude publiée dans le Lancet Diabetes Endocrinology contourne ces deux écueils. Cette étude d’observation porte sur plus de 1,5 million d’individus avec un suivi médian de 12,5 ans (correspondant à 23,1 millions patients-années) : 1 017 695 inclus dans la célèbre Emerging Risk Factors Collaboration (96 cohortes ; période de suivi 1961-2007 à 1980-2013 ; âge moyen à l’inclusion 54,6 ans ; hommes 45,6 % ; DT2 à l’inclusion 2,3 % ; DT2 lors du suivi 4,5 % ; antécédent de maladie cardiovasculaire 7,2 %) et 498 023 inclus dans la cohorte UK Biobank (22 centres au Royaume-Uni ; période médiane de suivi 2006 à 2020 ; âge moyen à l’inclusion 57 ans ; hommes 45,5 % ; DT2 à l’inclusion 5,0 % ; DT2 lors du suivi 0,4 % ; antécédent de maladie cardiovasculaire 14,0 %).
Au terme du suivi, et après ajustement pour l’âge et le sexe, l’excès de risque de mortalité totale diminue avec la classe d’âge au diagnostic (30-39 ans : HR 2,69 ; 40-49 ans : HR 2,26 ; 50-59 ans : HR 1,84 ; 60-69 ans : HR 1,57 ; après 70 ans : HR 1,39 ; p < 0,0001). C’est également le cas pour l’excès de risque de mortalité d’origine cardiovasculaire (30-39 ans : HR 4,20 ; 40-49 ans : HR 3,19 ; 50-59 ans : HR 2,31 ; 60-69 ans : HR 1,95 ; après 70 ans : HR 1,50 ; p < 0,0001) ou celui des décès liés ni à une cause cardiovasculaire ni à un cancer (30-39 ans : HR 3,99 ; 40-49 ans : HR 3,24 ; 50-59 ans : HR 2,31 ; 60-69 ans : HR 1,84 ; après 70 ans : HR 1,66 ; p < 0,0001) mais pas pour l’excès de risque de mortalité par cancer (30-39 ans : HR 1,55 ; 40-49 ans : HR 1,28 ; 50-59 ans : HR 1,33 ; 60-69 ans : HR 1,27 ; après 70 ans : HR 1,29 ; p = 0,18). Les résultats sont comparables en considérant l’ancienneté du diabète plutôt que l’âge au diagnostic, ainsi qu’après ajustement sur la consommation de tabac, l’indice de masse corporelle, la pression artérielle systolique et le cholestérol total, et même après l’ajout de facteurs supplémentaires comme la protéine C-réactive, le débit de filtration glomérulaire ou les autres paramètres lipidiques. À l’inverse, l’excès de risque de mortalité, quel qu’en soit la cause, est atténué de façon substantielle après ajustement sur la glycémie ou l’HbA1c.
En comparant les résultats observés au taux de mortalité aux États-Unis en 2015, les auteurs estiment que la réduction de l’espérance de vie d’un individu de 50 ans vivant avec un DT2 par rapport à un sujet non diabétique est de 14 ans si le diabète a été diagnostiqué à 30 ans, de 10 ans s’il a été diagnostiqué à 40 ans et de 6 ans s’il a été diagnostiqué à 50 ans (légèrement plus chez les femmes que chez les hommes). En utilisant les taux de mortalité en Europe en 2015, les valeurs retrouvées sont de 13, 9 et 5 ans respectivement . Au final, on considère que les patients vivant avec un DT2 perdent 3 à 4 années de vie à chaque fois que le diabète est diagnostiqué dix ans plus tôt.
En dépit des limites inhérentes à sa méthodologie et aux nombreuses données manquantes, cette vaste étude d’observation démontre l’importance pronostique de l’âge au diagnostic et de la durée d’exposition au diabète. Elle suggère également, s’il en était besoin, l’importance des mesures de prévention, de dépistage et de prise en charge précoce et intensive du DT2.