Louis MONNIER, Montpellier
Ling S et al. Inequalities in cancer mortality trends in people with type 2 diabetes. 20 year population-based study in England. Diabetologia 2023 ; 66 : 657-73.
Une équipe d’épidémiologistes anglais vient de rapporter dans Diabetologia les faits suivants chez les diabétiques de type 2 :
• Le risque de mortalité globale quelle qu’en soit la cause a eu tendance à diminuer au cours des dernières années, la baisse de la mortalité vasculaire n’étant pas étrangère à cette observation.
• Le risque de mortalité pour certains cancers est augmenté avec en particulier une tendance à l’augmentation de la mortalité par cancer chez les sujets les plus âgés. Cette dernière observation suggère que chez les diabétiques de type 2 la diminution du risque de décès par événement cardiovasculaire est associée à une transition vers une augmentation de la mortalité liée à certains cancers.
• La tendance à l’augmentation de l’incidence des cancers chez les personnes ayant un diabète de type 2 est surtout liée à certains cancers : pancréas, foie, prostate, poumons, endomètre, colorectaux. Cette donnée, qui est loin d’être nouvelle, a amené certains à considérer que ces cancers sont une complication du diabète de type 2 au même titre que les complications cardiovasculaires.
Pour arriver à ces conclusions les auteurs ont utilisé la méthodologie suivante. Les informations sur l’incidence des cancers ont été fournies par une banque de données britanniques (le CPRD pour Clinical Practice Data Links). Les 137 804 sujets étudiés étaient âgés de 35 ans ou plus et avaient un diabète sucré de type 2 diagnostiqué entre le 1er janvier 1998 et le 30 novembre 2018. La durée médiane de suivi a été de 8,4 années. Les auteurs ont fait une estimation de l’incidence des décès par cancer et de leur pourcentage parmi tous les décès quelle qu’en soit la cause. Dans un deuxième temps, les auteurs ont évalué l’incidence des décès liés aux cancers considérés comme les plus fréquents au Royaume-Uni (poumon, colon et rectum, sein et prostate) et des décès par cancers pour lesquels des études antérieures avaient rapporté une association marquée au diabète : pancréas, foie, endomètre et vésicule biliaire.
Les principaux résultats sont les suivants :
• D’un point de vue global et pendant toute la durée de l’étude, la mortalité par cancers colorectaux, pancréatiques, hépatiques et endométriaux a été multipliée par un facteur 1,5 chez les personnes ayant un diabète de type 2 par rapport aux sujets non diabétiques. Ce résultat confirme que ces variétés de cancers peuvent être considérées comme une complication du diabète de type 2. Dans ces conditions, une priorité devrait être donnée à leur prévention et à leur détection précoce afin de rendre leur traitement le plus efficace possible.
• La mortalité quelle qu’en soit la cause a diminué dans toutes les tranches d’âge (55, 65, 75 et 85 ans). Sur la figure sont rapportées les incidences des mortalités globales dans le groupe des sujets de 55 ans et de 85 ans.
• L’incidence de la mortalité par cancer quelle qu’en soit la cause dépend de l’âge des groupes étudiés et des années calendaires. L’analyse des résultats sur la totalité de la période (de 1998 à 2018) montre que les pourcentages moyens de changement annuel de l’incidence de la mortalité par cancer quelle qu’en soit la cause varient avec l’âge des sujets :
– Diminution de -1,4 % dans la tranche des 55 ans,
– Diminution de -0,2 % dans la tranche des 65 ans,
– Augmentation de + 1,2 % dans la tranche des 75 ans,
– Augmentation de + 1,6 % dans la tranche des 85 ans.
Sur la figure est représentée l’incidence globale des décès par cancer pour les tranches d’âge extrêmes (55 et 85 ans) en fonction des années calendaires. L’incidence diminue dans la tranche inférieure (55 ans) alors qu’elle augmente dans la tranche supérieure (85 ans). L’évolution en sens inverse dans les tranches d’âge élevées de l’incidence des décès quelle qu’en soit la cause et des décès par cancers suggère un remplacement de la mortalité cardiovasculaire par une mortalité due à des cancers au-delà d’un certain âge. L’amélioration de la prise en charge des maladies cardiovasculaires au cours des décennies écoulées n’est probablement pas étrangère à ce phénomène.
Figure. Incidence des décès toutes causes (traits pointillés) et des décès par cancers (traits pleins) quelle qu’en soit la cause dans le diabète de type 2. Évolution au cours des années calendaires. Comparaison en fonction des tranches d’âge : 55 ans (en violet) et 85 ans (en rouge).
• Incidence de la mortalité par type de cancer : une tendance à l’augmentation est observée pour les cancers pancréatiques, colorectaux, prostatiques, pulmonaires et endométriaux chez les personnes les plus âgées.
En analysant les tendances générales, les auteurs arrivent à la conclusion que la mortalité quelle qu’en soit la cause a eu tendance à diminuer à tous les âges dans le diabète de type 2 au cours des 2 dernières décennies. Le bémol est que certains cancers sont devenus plus fréquents chez les diabétiques de type 2 quand ils sont âgés. Comme indiqué plus haut, cette évolution pourrait être due au fait que la prévention des complications dans le diabète de type 2 s’est surtout exercée sur les maladies cardiovasculaires. La meilleure espérance de vie des diabètes de type 2 aurait malheureusement conduit à l’apparition de cancers à un âge avancé et à une inversion du risque, celui de certains cancers (foie, pancréas, tube digestif) prenant le dessus sur les maladies cardiovasculaires. Ces tendances ont été particulièrement notées chez les fumeurs et les obèses, constatation qui n’a rien de surprenant. La conclusion générale est que certains cancers apparaissent comme une complication du diabète, en particulier chez les sujets âgés, avec de surcroît une tendance amplifiée par le tabagisme et l’obésité. Dès lors, la politique préventive des complications dans le diabète de type 2 ne devrait pas être exclusivement axée sur les maladies cardiovasculaires mais être étendue au risque de cancers.