Bernard BAUDUCEAU, Saint-Mandé
Boureau AS et al. Nocturnal hypoglycemia is underdiagnosed in older people with insulin-treated type 2 diabetes: the HYPOAGE observational study. J Am Geriatr Soc 2023 ; 71(7) : 2107-19.
La survenue des hypoglycémies est naturellement redoutée chez les personnes âgées en raison de leurs conséquences néfastes sur le plan cardiaque et cérébral ainsi que sur la qualité de vie, d’autant que ces accidents sont fréquemment asymptomatiques. Cependant, les études manquent pour déterminer la fréquence et les facteurs prédictifs des hypoglycémies chez les patients âgés vivant avec un diabète de type 2.
Cette étude prospective multicentrique qui a inclus 155 patients diabétiques de type 2 âgés de plus de 75 ans traités par insuline avait pour objectif d’évaluer ces paramètres. Les participants effectuaient plus de 2 contrôles quotidiens de leur glycémie capillaire. Ces personnes ont fait l’objet d’une évaluation gériatrique et d’un bilan de leur diabète puis d’une surveillance continue de la glycémie ambulatoire (CGM) en aveugle pendant 28 jours consécutifs avec le capteur FreeStyle Libre Pro®. Conformément aux récentes recommandations internationales, la technologie du CGM permettait d’évaluer le temps en dessous de la plage (Time Below Range : TBR) caractérisée par des concentrations de glucose entre 54 et 69 mg/dL pour le niveau 1 ou < 54 mg/dL pour le niveau 2.
Le critère d’évaluation principal reposait sur le pourcentage de participants présentant au moins une hypoglycémie confirmée (symptomatique ou asymptomatique) définie par une glycémie capillaire < 70 mg/dL, au cours du suivi de 28 jours.
Les critères d’évaluation secondaires prédéfinis étaient : – le temps passé en hypoglycémie (TBR niveau 2) calculé comme la durée entre la première lecture en dessous 54 mg/dL et la première lecture revenant au-dessus de 54 mg/dL ; – la fréquence des hypoglycémies nocturnes survenant entre minuit et 6 heures) ; – le TBR niveau 2 pendant la nuit (minuit-6 heures) ; – l’analyse en sous-groupe selon le statut gériatrique entre les sujets “sains” définis par une absence de fragilité et les sujets “complexes” présentant des complications du diabète, des manifestations d’ordre gériatrique ou une faible espérance de vie.
La population finale de l’étude comportait 141 participants dont les données disponibles concernaient à la fois les glycémies capillaires et la mesure en CGM sur plus de 70 % du temps.
Des régressions logistiques multivariées ont été utilisées pour identifier les facteurs associés aux hypoglycémies confirmées par mesure de la glycémie capillaire (≤ 70 mg/dL) et par CGM au cours de la nuit.
L’âge moyen des 141 patients analysés était de 81,5 ± 5,3 ans et 56,7 % étaient de sexe masculin. L’HbA1c initiale était en moyenne de 7,9 ± 1 %. Après l’évaluation gériatrique, 102 participants (72,3 %) ont été considérés comme complexes et 39 (27,7 %) comme sains.
Au moins une glycémie capillaire inférieure à 70 mg/dL a été notée chez 37,6 % des patients au cours de la période de suivi. Ces hypoglycémies étaient symptomatiques chez seulement 12,8 % des patients. Six hypoglycémies sévères nécessitant une assistance externe ont été rapportées, dont deux ont conduit à une hospitalisation. Ces épisodes d’hypoglycémie confirmés par mesure capillaire sont survenus plus fréquemment chez les sujets âgés en bonne santé que chez les sujets complexes (51,3 % contre 32,4 % p = 0,04). Cependant, l’HbA1c estimée par le CGM était plus élevée chez ces patients complexes (7 % versus 6,6 %).
En analyse multivariée, le risque d’hypoglycémie confirmée par automesure glycémique était positivement associé à une durée du diabète supérieure à 1 an (OR = 1,04 [1,00-1,08] p = 0,04) et à l’élévation de la variabilité glycémique évaluée par CGM (OR = 1,12 [1,05-1,19] p < 0,001).
Plus de la moitié des patients (92 soit 65,2 %) ont présenté des périodes d’hypoglycémie nocturne < 54 mg/dL pendant plus de 15 minutes consécutives entre minuit et 6 heures du matin.
En analyse multivariée, les facteurs associés à ces hypoglycémies nocturnes (TBR de niveau 2) étaient la présence d’au moins une hypoglycémie confirmée par mesure de la glycémie capillaire durant toute la journée (OR = 11,6 [3,1-43,0] p < 0,001), les troubles cognitifs (OR = 9,31 [2,59-33,4]), l’insuffisance cardiaque (OR = 4,81 [1,48-15,6]) et les syndromes dépressifs (OR = 0,19 [0,06-0,53]).
Cette étude confirme la grande fréquence des hypoglycémies nocturnes qui sont souvent silencieuses et largement sous-diagnostiquées chez les patients âgés vivant avec un diabète de type 2 traités par insuline. En effet, lors des soins de routine les mesures des glycémies capillaires sont rarement effectuées la nuit et un grand nombre de ces épisodes ne réveillent pas la personne.
Le CGM est ainsi un outil prometteur pour mieux identifier et prévenir ces hypoglycémies afin d’adapter la prise en charge du diabète dans cette population fragile.