Patrice DARMON, Marseille
Le monde moderne est confronté depuis la fin du siècle dernier à une véritable pandémie de « diabésité », néologisme désignant la conjonction de l’obésité et du diabète de type 2 (DT2). La diabésité se caractérise par un état d’insulinorésistance avec excès d’adiposité viscérale responsable d’un cortège de complications métaboliques et cardiovasculaires et associé à une augmentation du risque de certains cancers et de maladies hépatiques, respiratoires ou ostéo-articulaires. S’il est très largement démontré que l’obésité et le DT2 exposent à un risque accru de mortalité, et en particulier de mortalité cardiovasculaire, le pronostic de la diabésité est, curieusement, moins bien documenté. C’est tout l’intérêt de l’étude menée au Mexique, dans l’un pays du monde les plus touchés par cette pandémie (avec respectivement 36,9 % et 18,3 % de la population adulte présentant une obésité ou un DT2 en 2022).
La Mexico City Prospective Study est une cohorte constituée entre 1998 et 2004, incluant plus de 150 000 habitants de Mexico suivis de façon prospective. L’analyse présentée ici porte sur le devenir de 154 128 participants (âge moyen 52,3 ans ; femmes 67,2 %), repartis à l’inclusion en six groupes en fonction de leur statut pondéral (normal, surpoids, obésité) et de la présence ou non d’un diabète : poids normal et absence de diabète 17,2 % (groupe 1) ; poids normal et diabète 2,8 % (groupe 2) ; surpoids et absence de diabète 37,5 % (groupe 3) ; surpoids et diabète 5,6 % (groupe 4) ; obésité et absence de diabète 32,0 % (groupe 5) ; obésité et diabète ou diabésité 4,9 % (groupe 6). Au terme d’un suivi de 18,3 ans, il y a eu 27 197 décès (17,6 %) dont 28,5 % d’origine cardiovasculaire. Après ajustements multiples (incluant âge, sexe, niveau d’éducation, catégorie socio-professionnelle, nombre de comorbidités, statut marital, activité physique, consommation d’alcool et de tabac, durée de sommeil, consommation de fruits et légumes), et comparativement au groupe 1, il existe un sur-risque de mortalité totale et cardiovasculaire dans le groupe 2 (HR 2,37 [IC95% 2,24-2,51] et 1,78 [IC95% 1,60-1,98]), le groupe 4 (HR 1,98 [IC95% 1,88-2,08] et 1,70 [IC95% 1,55-1,86]) et le groupe 6 (HR 2,04 [IC95% 1,94-2,15] et 1,80 [IC95% 1,63-1,99]), soit les trois groupes de participants vivant avec un diabète ; cet excès de risque existe aussi, à un moindre degré, chez les patients du groupe 5, présentant une obésité sans diabète (HR 1,15 [IC95% 1,10-1,20] et 1,22 [IC95% 1,14-1,32]) mais il n’est pas retrouvé parmi les participants du groupe 3 (surpoids sans diabète). L’analyse en sous-groupes retrouve une interaction significative avec l’âge, le sur-risque de mortalité totale et cardiovasculaire étant nettement plus marqué chez les sujets âgés de moins de 65 ans que chez ceux de 65 ans et plus. De façon intéressante, lorsque les individus décédés lors des 10 premières années de suivi sont exclus de l’analyse pour limiter le biais de causalité inversée, ce sont les sujets souffrant de diabésité qui présentent le risque relatif de mortalité totale et cardiovasculaire le plus élevé (HR 2,65 [IC95% 2,45-2,86] et 2,17 [IC95% 1,88-2,51]).
Cette étude d’observation suggère donc, au sein d’une population particulièrement touchée par l’obésité et le DT2, que le principal déterminant de la mortalité totale et cardiovasculaire semble être le diabète plus que l’obésité. Si la lutte contre l’obésité est une priorité de santé publique, il est également crucial de mettre en œuvre des mesures de prévention du DT2 chez les patients les plus à risque.