Bernard BAUDUCEAU*, Lyse BORDIER*, Jean DOUCET**, *Service d’endocrinologie, Hôpital d’instruction des Armées Bégin, Saint-Mandé, **Service de médecine interne polyvalente, hôpital Saint-Julien, CHU de Rouen
Le nombre des patients diabétiques âgés croît régulièrement en raison de l’augmentation de la prévalence du diabète et surtout de l’amélioration de l’espérance de vie si bien que le quart des personnes diabétiques est aujourd’hui âgé de plus de 75 ans. Comme la nécessité d’initier une insulinothérapie augmente avec les années de diabète, cette question se pose très fréquemment chez les seniors comme le montre l’étude ENTRED au cours de laquelle le tiers des malades de plus 85 ans était traité par insuline.
Dès la décision prise de débuter un traitement par insuline, les modalités pratiques doivent être abordées puisqu’elles dépendent des objectifs glycémiques et de la présentation clinique du patient. C’est ainsi que les possibilités pour le malade d’assurer lui-même son traitement, la nature des insulines disponibles et le risque hypoglycémique nécessitent d’être parfaitement évalués pour permettre une prise en charge de qualité.
Quand envisager de passer à l’insuline ?
Le passage à l’insuline n’est donc pas un événement rare chez les personnes âgées et chacun sait combien cette circonstance peut être source de craintes et d’interrogations. La nécessité d’initier une insulinothérapie s’impose le plus souvent devant un équilibre glycémique médiocre malgré un traitement bien adapté, la présence de signes d’insulinopénie comme une perte de poids inexpliquée ou l’apparition d’une sarcopénie, une contre-indication aux traitements oraux et notamment une insuffisance rénale avancée. L’insulinothérapie peut également être indiquée de façon temporaire au cours d’une infection sévère, avant un acte chirurgical ou pendant une corticothérapie. Enfin, chez les personnes très âgées et dépendantes, ce traitement peut être utile de façon à diminuer la liste des médicaments et faciliter la prise en charge.
Les dernières recommandations des sociétés savantes proposent la prescription d’un analogue du glucagon-like peptide-1 (GLP-1) en cas d’insuffisance de la thérapeutique orale avant d’initier une insulinothérapie en raison de l’efficacité de cette classe médicamenteuse sur la normalisation glycémique et sur la protection cardiovasculaire. Si cette démarche peut être retenue chez les personnes qui ont bien vieilli notamment s’il existe une obésité, la fréquence des d’effets secondaires digestifs nécessite une grande prudence pour éviter d’entraîner une dénutrition.
Ne pas retarder l’heure du passage à l’insuline
Le moment du passage à l’insuline chez les personnes âgées est trop souvent repoussé en raison des fréquentes réticences des patients ou de leurs proches. Ce fait tient à la très mauvaise l’image que ce médicament essentiel conserve encore malheureusement aujourd’hui. En effet, les patients sont fréquemment inquiets de débuter un traitement par l’insuline et le vivent comme un échec. Bien que les chiffres soient en voie d’amélioration, quelques médecins retardent encore l’instauration de l’insuline et l’utilisent comme une menace. Lors de l’initiation de l’insulinothérapie, l’éducation thérapeutique des patients est indispensable, mais se heurte à des difficultés pratiques notamment en cas de troubles cognitifs.
Apporter des réponses aux freins de l’insulinothérapie
L’amélioration de la communication et la confiance avec le médecin prescripteur sont essentielles pour faire accepter le passage à l’insuline. Pour pallier, au moins en partie, cette difficulté, l’évocation de ce traitement nécessite d’être abordée en amont dans le suivi des patients dia bétiques de type 2 afin de le dédramatiser. Une crainte fréquemment exposée concerne la perception de l’aggravation de la maladie et de l’irréversibilité de l’insulinothérapie. En revanche, « la peur des piqûres » est moins fréquente depuis l’amélioration de la technologie, ce que confirme l’acceptation relativement facile des analogues du GLP-1. Si la peur de prendre du poids est moins prégnante que chez les sujets plus jeunes, le risque de survenue d’accidents hypoglycémiques est une crainte importante lors de l’initiation de l’insulinothérapie chez les personnes âgées et leurs proches.
Évaluer les capacités du malade à se prendre en charge
L’approche clinique de bon sens de la situation du malade permet rapidement de savoir ce que la personne diabétique souhaite faire et ce qu’elle sera capable de faire en fonction de l’existence d’un déficit visuel, d’une atteinte rhumatologique ou neurologique ainsi que de troubles cognitifs.
Naturellement, l’idéal est que le sujet réalise lui-même ses injections, effectue l’auto-surveillance glycémique et adapte son traitement. Lorsque cela n’est pas possible, notamment chez les patients présentant des troubles cognitifs, il est nécessaire de déterminer qui effectuera ces gestes. L’aide d’un tiers peut être transitoire ou au contraire définitive chez les patients les moins autonomes. Il peut alors s’agir du conjoint, d’un proche ou d’un aidant. Chez les malades dépendants et isolés, ce rôle est habituellement confié à une infirmière qui réalise dans le même temps la distribution des médicaments et l’injection d’insuline. Ainsi, le schéma de l’insulinothérapie dépend du patient et notamment de sa motivation, de ses capacités, des objectifs et des complications déjà existantes. Les points essentiels du projet éducatif qui s’adressent au patient ou à un aidant concernent la possibilité pratique de réaliser l’autosurveillance glycémique, l’injection d’insuline et l’adaptation des doses ainsi que la reconnaissance des signes d’hypoglycémie et la façon de les traiter.
Définir les objectifs glycémiques
Toutes les recommandations plaident pour une adéquation des objectifs glycémiques à la présentation clinique des malades. La dernière prise de position de la Société francophone du diabète (SFD) publiée en 2019, actualisée en 2021, s’inscrit dans cette dé marche et distingue grossièrement 3 catégories de personnes pour définir les objectifs d’HbA1c.
– HbA1c ≤ 7 % pour les personnes dites en bonne santé, bien intégrées socialement et autonomes d’un point décisionnel et fonctionnel et dont l’espérance de vie est jugée satisfaisante ;
– HbA1c ≤ 8 % chez les malades fragiles à l’état de santé intermédiaire et à risque de basculer dans la catégorie suivante ;
– HbA1c < 9 % pour les patients dépendants et/ou à la santé très altérée en raison d’une polypathologie chronique évoluée génératrice de handicaps et d’un isolement social.
La catégorisation des patients est obtenue dans les meilleures conditions grâce à une évaluation gérontologique standardisée qui est réalisée à l’aide d’échelles bien connues en milieu gériatrique. Toutefois, ces grilles sont rarement utilisées en pratique médicale courante et la définition de la situation du malade est habituellement estimée de façon empirique.
Dans la prise de position de la SFD, la définition d’une borne inférieure a été fixée pour les 2 derniers groupes chez les malades traités par sulfamide, glinide ou insuline, classes médicamenteuses susceptibles d’induire des hypoglycémies. Ainsi, l’HbA1c du patient ne doit pas se situer en dessous de 7,5 % chez les sujets fragiles et de 8 % et/ou de 1,40 g/L pour la glycémie à jeun chez les personnes très malades. La détermination de cette borne inférieure est capitale puisqu’un traitement trop intensif majore les hypoglycémies chez des malades fragiles ou dépendants. Ce risque est bien réel dans les études menées en institution où un fort pourcentage des patients présente une HbA1c inférieure à 6,5 %.
Ce risque hypoglycémique nécessite d’être pris en considération tout particulièrement chez les personnes âgées d’autant que ces accidents sont souvent asymptomatiques ou atypiques et peuvent prendre le masque de troubles du comportement, d’une confusion ou d’une agitation. Les hypoglycémies récidivantes, surtout lorsqu’elles sont sévères, majorent les accidents cardiovasculaires et neurologiques ainsi que les déficits cognitifs, les chutes et la mortalité.
Ainsi, le juste milieu doit être trouvé entre le fait de traiter efficacement des malades dont l’espérance de vie est bonne afin de leur éviter le développement des complications dégénératives en particulier microangiopathiques et celui de faire courir des risques inutiles à des malades fragiles ou dépendants alors que l’objectif est simplement de limiter le risque d’accidents d’hyperosmolarité sans altérer leur qualité de vie.
Préférer une basale pour le schéma insulinique initial
Tous les types de schémas peuvent être utilisés chez les personnes diabétiques âgées, puisque l’important n’est pas le moyen, mais le résultat obtenu avec le minimum de contraintes au regard à l’objectif recherché. Cependant, toutes les recommandations et notamment celles de la SFD portent leur choix sur une injection d’insuline basale lors de l’initiation de l’insulinothérapie. La posologie initiale de l’ordre de 10 unités doit être prudente afin d’éviter la survenue d’une hypoglycémie qui remettrait en cause l’adhésion du malade. Cependant, si les glycémies de départ sont élevées, la dose initiale peut être majorée sous réserve d’une bonne surveillance. Quoi qu’il en soit, l’intensification et l’adaptation de la posologie aux résultats des glycémies capillaires sont indispensables pour parvenir aux objectifs. L’heure de l’injection doit être discutée en fonction de la capacité du malade à la réaliser lui-même. Pour un patient autonome, l’injection du soir est une alternative simple, car l’adaptation des doses d’insuline du soir en fonction de la glycémie du matin est facile à comprendre. En revanche, chez un malade fragile ou dépendant, l’injection quotidienne sera plus aisément réalisée le matin par une infirmière libérale pour des raisons d’organisation de son travail et de façon à limiter le risque d’hypoglycémie nocturne.
Intensifier le traitement en cas d’insuffisance d’une insuline basale
En cas d’échec de cette insulinothérapie initiale constituée d’une injection d’une basale dont la posologie a été correctement intensifiée, le renforcement du traitement peut se faire de trois façons pour parvenir aux objectifs.
• L’ajout d’un antidiabétique oral ou d’une injection d’un analogue du GLP-1 est une première possibilité, mais cette démarche majore les prises médicamenteuses déjà souvent multiples. Quoi qu’il en soit, la prescription de sulfamides ou de glinide doit être évitée afin de diminuer le risque hypoglycémique particulièrement chez les sujets fragiles ou très malades. Les inhibiteurs du cotransporteur sodium glucose de type 2 (iSGLT2) sont à l’origine d’une majoration de la diurèse et d’une hypovolémie qui peuvent aggraver une hypotension orthostatique et ainsi favoriser les chutes. L’administration d’un analogue du GLP- 1 est susceptible d’entraîner des troubles digestifs responsables d’une majoration de la dénutrition. En revanche, la protection cardio-rénale peut constituer un argument en faveur de l’une ou l’autre de ces deux classes médicamenteuses chez certains patients âgés.
• La seconde voie consiste dans la réalisation de 2 injections d’insuline semi-lente ou de Prémix. L’avantage est de parvenir à deux niveaux de basale en ajustant les doses du matin et du soir en fonction des besoins, la dose du soir étant habituellement nettement inférieure à celle du matin. L’utilisation des Prémix permet dans le même temps de diminuer les excursions hyperglycémiques post-prandiales du matin et du soir. En cas d’échec, le choix est laissé entre l’ajout d’un analogue rapide ou d’une Prémix le midi.
• Une troisième possibilité consiste à ajouter une injection d’un analogue rapide de l’insuline avant le repas le plus hyperglycémiant, c’est-à-dire le matin ou le midi. Ce schéma peut être éventuellement complété en introduisant des injections avant chaque repas pour aboutir à un schéma basalbolus. Cette situation extrême nécessite une collaboration et une compréhension parfaites du malade, ce qui est rarement le cas chez les sujets fragiles et moins encore chez ceux qui sont dépendants.
Le développement du FreeStyle Libre permettant une lecture instantanée et très facile de la glycémie a transformé la prise en charge des patients diabétiques tout en améliorant leur qualité de vie. Toutefois, cette nouvelle technologie est actuellement réservée dans son remboursement aux patients traités par de multiples injections ou par une pompe à insuline. Ces circonstances ne sont donc pas les plus fréquentes chez les personnes âgées.
Débuter de préférence avec un analogue lent
L’insuline NPH, qui est recommandée par la Haute Autorité de santé (HAS) pour l’ensemble de la population diabétique, est moins onéreuse que les analogues lents. D’ailleurs, les travaux portant de façon spécifique sur les patients diabétiques âgés sont rares ou ne concernent le plus souvent que des sous-groupes de plus grandes études. Quoi qu’il en soit, l’exploitation de leurs résultats permet de conclure à l’efficacité et à la sécurité des analogues lents de l’insuline.
Globalement, toutes les études centrées sur la normalisation glycémique montrent que l’efficacité des analogues lents est identique, quel que soit l’âge des patients et que les résultats ne diffèrent pas significativement de ceux obtenus avec la NPH avec une diminution de l’HbA1c située entre 1 à 1,5 % selon les cas.
En revanche, les différents travaux comparant la NPH aux analogues lents s’inscrivent, à un niveau variable, en faveur de ces derniers pour la réduction des hypoglycémies. Ce fait qui est primordial dans cette population a bien été enregistré dans les recommandations de la HAS publiées en 2013 qui donnent la préférence aux analogues de l’insuline plutôt qu’à la NPH chez les malades âgés et fragiles.
Évaluer l’apport des analogues lents de nouvelle génération
L’évaluation de l’efficacité et de la sécurité des nouveaux analogues lents de l’insuline a fait l’objet de différents travaux en les comparant aux analogues lents classiques. L’insuline dégludec et la glargine U300 ont une durée d’action plus longue que celle de la glargine U100. Dans l’ensemble, l’effet sur l’équilibre glycémique ne diffère pas de celui de la glargine U100, mais permet d’obtenir une diminution significative de l’ordre de 20 % des hypoglycémies et notamment des hypoglycémies nocturnes. Les études comparant directement ces deux nouvelles molécules confirment ces données et ne montrent pas de différence très significative entre ces deux insulines. Les résultats d’une étude de phase II avec une nouvelle insuline basale hebdomadaire sont encourageants puisque l’efficacité métabolique est similaire à celle de la glargine U100 injectée chaque jour chez les patients diabétiques de type 2 naïfs d’insuline, ce qui pourrait laisser présager d’une meilleure adhérence et d’une meilleure persistance au traitement.